Les marronniers de l’avenue Churchill

Article paru dans la Lettre aux habitants n° 68, juin 2011.

Dans la foulée des projets de réaménagement de l’axe Albert-Churchill, Bruxelles-Mobilité envisage, une fois de plus, l’abattage des marronniers des deux avenues. Tentons d’en expliquer, tant bien que mal, le pour et le contre.

POURQUOI LE DOUBLE ALIGNEMENT DE MARRONNIERS POSE-T-IL UN PROBLÈME À LA STIB ET À BRUXELLES-MOBILITÉ ?

 En automne, la chute des feuilles, et surtout des marrons,
occasionne des soucis d’entretien (nettoyage, ...) tant de la voirie - particulièrement là où se trouvent des aires de parking – que des trams. Les nouveaux trams de la STIB possèdent en toiture une sorte de cageot technique (moteurs) dans laquelle viennent fâcheusement se ficher les marrons.

 L’élagage fréquent des arbres : le marronnier est un arbre qui rejette volontiers du tronc et il existe en été une possibilité de chute de branches chez les sujets âgés. L’élagage qui incombe à la STIB dans son contrat d’exploitation, est onéreux.

 Enfin, l’emplacement des arbres entre la voirie et les rails permet difficilement à la STIB d’ implanter des quais, voire d’élargir l’entraxe des voies si nécessaire.

QUEL EST L’ÉTAT SANITAIRE DES MARRONNIERS DE L’AVENUE CHURCHILL ?

Idéalement, le marronnier (aesculus hippocastanum ) demande un sol fertile, profond et frais, ce qui est rarement le cas en milieu urbain. Une terre médiocre et sèche favorise une chute prématurée du feuillage, effet par ailleurs accéléré par la présence en Europe, depuis à peu près vingt ans, du cameraria ohridella ou mineuse du marronnier. Cette microscopique chenille, qui dévore les feuilles de l’intérieur, n’entraîne pas la mort de l’arbre mais peut contribuer à son affaiblissement. Notons encore que le marronnier est un arbre sensible aux changements d’environnement.

Ainsi, au vu de leur âge, de la dégradation du sol, des dégâts qui leur fut causé par un élagage peu soigné et des travaux en voirie blessant au passage leurs racines, il était légitime de craindre la mauvaise santé et donc la dangerosité des marronniers des avenues Albert et Churchill.

Suite à diverses études (en 2003) et contre-études (initiées par la commune d’Uccle) 17 marronniers de l’avenue Churchill, présentant un évident risque de sécurité, furent abattus. Les arbres rescapés, pour la plupart, n’étaient pas atteints de pourriture interne et les arbres encore douteux pouvaient être soignés. C’était le cas de 58 marronniers, situés entre le rond point Churchill et la place Vanderkindere, qui présentaient des défauts « mécaniques » évolutifs avec risques de rupture. Le maintien provisoire de ces arbres était néanmoins onéreux du fait des soins spécifiques à administrer. En l’occurrence, l’argument d’abattage n’est donc pas tant lié à l’état de l’arbre mais bien au coût de son entretien. Depuis lors néanmoins, parmi les 58 marronniers considérés, plusieurs individus furent abattus dans la foulée de la réfection des quais de la STIB.

Finalement, force est de constater que les marronniers de l’avenue Churchill, malgré la nature fragile de l’espèce, ont indéniablement bien résisté aux nombreux stress qu’ils ont subis depuis leur plantation.

HORMIS LEUR ÉTAT SANITAIRE, QUELLE VALEUR DONNER AUX ARBRES DES AVENUES ALBERT ET CHURCHILL ?

On pense souvent que l’arbre est le facteur principal de production de l’oxygène de notre atmosphère. En conséquence on a également tendance à penser que plus l’arbre est grand, plus il produit de l’oxygène. C’est un argument récurrent pour défendre la conservation des vieux marronniers des avenues Churchill, Albert et des anciennes drèves bruxelloises en général. Qu’en est-il exactement ? Quels sont les autres facteurs qui donnent de la valeur à ces vieux arbres ?

L’ARBRE PARTICIPE-T-IL À LA PURIFICATION DE L’ATMOSPHÈRE ?

Via le processus de photosynthèse l’arbre produit du glucose, le “carburant” de sa croissance. En même temps qu’elle engendre de la matière organique (matérialité de l’arbre : son tronc, ses branches, ses feuilles, ...), la synthèse du glucose libère également une certaine quantité d’oxygène (O2) dont seule une partie est « respirée » par l’arbre même (minéralisation du carbone). L’arbre produit ainsi plus d’oxygène qu’il n’en consomme. Cependant, à sa mort, ses tissus sont métabolisés par des bactéries, des champignons et la micro-faune. Le bilan « carbone » est alors inversé puisque ces organismes manifestent une respiration cellulaire similaire à la nôtre. A la fin de la décomposition de l’arbre, tout l’excédent d’oxygène qu’il avait produit lors de sa vie aura donc été réutilisé et la quantité de gaz carbonique (CO2) qu’il avait fixé en grandissant aura été rejeté. Ainsi dans l’absolu et au contraire de ce que nous pensons généralement, le bilan carbone d’un arbre est nul. Il faut savoir que c’est le plancton marin qui produit la plus grande partie (80%) de l’oxygène planétaire disponible dans l’air et solubilisé dans l’eau des mers. Par ailleurs, en pratique, il est impossible de faire un bilan précis de la production et de la consommation de l’oxygène d’un ensemble d’arbres en particulier, puisque celui-ci ne conditionne pas un système fermé hormis le système planétaire.

Les arbres n’en sont pas pour autant inutiles. Ils ont des fonctions essentielles au niveau micro-et macro-climatique. Malgré que le processus soit plus faible en milieu urbain les arbres y participent à la régulation de la qualité de l’atmosphère notamment en termes de pureté de l’air et d’équilibre thermo-hygrométrique (température/humidité). Par ailleurs les arbres en milieu urbain, une fois morts, ne dépérissent généralement pas sur place. Peu importe que le bois soit exploité ou pas, les arbres abattus sont emportés. Au niveau local, la plus-value d’oxygène produit durant la vie de l’arbre ne sera donc pas annulée par sa putréfaction.

UN GRAND ARBRE VAUT IL PLUS QU’UN PETIT ?

Puisque la quantité d’oxygène produite est proportionnelle à la surface foliaire de l’arbre, on aurait tendance à penser qu’un grand arbre est à ce titre davantage bénéfique qu’un petit. Cela n’est vrai que partiellement puisque l’intensité du processus de photosynthèse, et donc la production d’oxygène, dépend de son âge : elle est maximale au début de sa vie, durant sa période de croissance, puis elle ralentit au fur et à mesure que l’arbre vieillit.

Néanmoins la taille de l’arbre est également proportionnelle à sa capacité de fixer les poussières et certains polluants non dégradables (via la surface collante et/ou velue de ses feuilles, via son tronc et ses branches et indirectement via les mousses, les lichens, la rosée, etc.). Les grands arbres constituent également en milieu urbain, et c’est important, des coupe-vents non négligeables et contribuent à l’absorption du bruit (circulation automobile, etc.). N’oublions pas non plus que les vieux troncs servent de nichoirs pour les très nombreuses espèces d’oiseaux.

Enfin il y a la valeur patrimoniale et culturelle. Celle-ci est d’autant plus estimée lorsque les arbres font partie d’un ensemble planté cohérent tel que c’est le cas avenues Churchill et Albert. L’argument esthétique est sans aucun doute une des raisons principales qui motive la mobilisation – parfois passionnée – des riverains. On comprend aisément l’attachement des habitants à l’aspect majestueux, superbe et bucolique de l’honorable drève. Le double alignement est particulièrement splendide au printemps lorsque les marronniers, dont les feuilles vert tendre sont tout juste écloses, se parent de ces magnifiques fleurs blanches tachetées ci et là de rose et de jaune. Vu la taille des arbres, les immeubles des avenues Churchill et Albert disposent, au printemps, en plus du « gaz à tous les étages », d’une distribution florale jusqu’aux derniers niveaux. Depuis les appartements supérieurs la vue est splendide : un tapis incomparable.

Pour conclure on dira que, oui, les grands marronniers constituent une plus-value évidente pour les avenues Churchill et Albert. En tant que « poumon vert » la valorisation de cet ensemble est plus réduite qu’on a pu l’imaginer. Néanmoins les autres facteurs d’évaluation, tant d’ordres environnemental que patrimonial, lui confèrent une valeur quand même très respectable.

Vu l’âge avancé des arbres, il faudra malgré tout, à moyen terme, se résigner à leur abattage. La mise en place de jeunes sujets sera d’ailleurs bénéfique en matière de régulation de la qualité de l’atmosphère, on l’a vu. Cependant les riverains n’accepteront ce remplacement que dans la mesure où il correspond à un projet d’aménagement du territoire de qualité, cohérent et concerté.

REMPLACER LES MARRONNIERS PAR D’AUTRES MARRONNIERS ?

En ce qui concerne le remplacement des arbres des deux avenues, les différents protagonistes s’accordent au moins sur un point : ll est peu raisonnable de replanter des marronniers de type hippocastanum. Les jeunes sujets de cette espèce sont quasi inévitablement attaqués par le cameraria ohridella (voir le paragraphe consacré à l’état sanitaire). Concernant l’avenue Churchill, dans un premier temps, l’espèce proposée par l’Administration de Bruxelles-Mobilité fut le métasequoia glyptostroboïde, un conifère d’origine asiatique. Cet arbre robuste pousse très vite, est facile et peu onéreux à entretenir et sa ramifica- tion ne se développe qu’à partir des six mètres de haut, ce qui assure un passage dégagé pour les trams.

Au vu des protestations engendrées suite au choix d’un conifère, l’administration opta finalement pour un cultivar du platane : Le platanus acerifolia « malburg ». Cette espèce, issue d’une sélection réalisée en 1981 aux Pays-Bas, se différencie de l’espèce commune par une croissance étroite de l’arbre ce qui simplifie son intégration en milieu urbain. La pubescence (fine et dense couche velue) située au dessous des feuilles est moins importante que chez le platane commun, ce qui réduit les possibilités d’irritation respiratoire que peut provoquer cet arbre chez l’être humain. Par ailleurs, les platanes résistent mieux que les marronniers aux brutalités occasionnées par leur environnement urbain.

Plusieurs individus de cette espèce ont déjà été plantés avenue Churchill, notamment là où la STIB a effectué des travaux de réhabilitation de ses quais.

Les riverains, quant à eux, avaient suggéré la replantation de marronniers à fleurs rouges, le aesculus carnea. Ceci afin d’assurer une continuité d’aspect à l’avenue et de lui conserver notamment sa floraison de printemps. Hormis l’aspect esthétique, le principal avantage de cette variété (qui n’est pas un hippocastanum) tient du fait qu’il ne subit manifestement pas l’attaque de la terrible chenille. Il en existe par ailleurs un cultivar quasi stérile, le aesculus carnea « briotii » (obtenu en 1858 aux pépinières du Trianon à Versailles) ce qui pourrait arranger la STIB qui déplore la chute des marrons dans les cageots techniques sommitaux des nouveaux trams. Cette variété ne dépasse toutefois que rarement les quinze mètres de haut, là où le marronnier commun peut en atteindre vingt-cinq.

Notons enfin que, si abattage il y a, Bruxelles-Mobilité prévoit de replanter moins d’arbres qu’à l’origine. Ceci, notamment, afin de favoriser la condition de croissance des individus et de rendre les arrêts de tram accessibles aux personnes à mobilité réduite. Ce choix avait néanmoins recueilli la désapprobation de la Commission Royale des Monuments et Sites.

CONCLUSION

Cet article a été écrit de la manière la plus objective possible, dans un souci d’information. Les facettes du problème sont nombreuses et révèlent sa complexité. On ne peut donc prendre catégoriquement parti « pour » ou « contre » le maintien des actuels marronniers sans verser dans la simplification.