L’ENVIRONNEMENT AU TRAVERS DE SA PERCEPTION PAR L’ENFANT ET LE CITOYEN

Article paru dans la Lettre aux Habitants n°75, mars 2013.


Tout le monde parle d’environnement, mais ce
concept, la notion d’environnement, recouvre de
nombreuses perceptions et possède différents sens
selon les personnes interrogées.

Dans le cadre d’un travail concernant la relation
qu’avaient les enseignants vis à vis de l’environnement
et des activités qu’ils menaient dans ce domaine,
je me suis penché sur les représentations que
l’enfant avait de son environnement à partir d’études
réalisées dans les années mille-neuf-cent-nonante.

Les représentations qu’ont les individus de leur environnement
font l’objet d’une classification en fonction
de leurs caractéristiques, ce qu’on appelle une
typologie. Pour approfondir la question j’ai ensuite
étendu ma réflexion au-delà des enfants et ensuite
en la situant dans un cadre plus sociologique.

Il m’a semblé intéressant de montrer les différentes
manières de percevoir son environnement qui, à la
manière de l’auberge espagnole, peut couvrir des domaines
variés. On peut alors en tirer la conclusion
que parler d’environnement nécessite de clairement
définir de quel…

Ci-dessus : Vision poétique d’une nature domestiquée : l’allée d’érables sycomores dans le Parc du Cinquantenaire.

Fin siècle passé, une typologie de l’environnement a
été proposée, puis développés par différents auteurs,
acteurs de l’ERE, Cette typologie, qui au départ identifiait
sept représentations type, s’est enrichie par la
suite (Sauvé 1994). On peut ainsi considérer l’environnement
de multiples façons et avec de multiples
approches :

  • L’ENVIRONNEMENT-NATURE

    L’environnement – nature est l’environnement originel
    où se trouvent les racines de l’espèce humaine.
    Il s’en est coupé et doit renouer avec celui-ci
    pour être pleinement lui-même, car là se trouvent
    ses vraies racines. Cet environnement mythique est
    pour les uns « l’environnement cathédrale » qu’il
    convient d’admirer et de respecter, et pour les
    autres la « nature-utérus » dans laquelle il convient
    de s’intégrer, de se fondre pour renaître en délaissant
    le mode de vie que nous impose la société
    d’aujourd’hui.

  • L’ENVIRONNEMENT - RESSOURCE

    L’environnement – ressource est le patrimoine « naturel
     » dont l’homme tire sa subsistance. Un patrimoine
    dont on connaît aujourd’hui les limites et
    qu’il convient de bien gérer dans une perspective
    de développement durable et de partage équitable.

  • L’ENVIRONNEMENT - PROBLÈME

    L’environnement – problème est l’environnement
    biophysique en proie aux pollutions et nuisances
    diverses. Un environnement « naturel », sujet aux
    pollutions et nuisances diverses, qu’il s’agit de protéger
    et de restaurer dans son intégrité originelle.

  • L’ENVIRONNEMENT - SYSTÈME

    L’environnement – système est une approche écosystémique
    de l’environnement qui permet de le
    comprendre afin de prendre des décisions le
    concernant.

  • L’ENVIRONNEMENT - MILIEU

    L’environnement – milieu de vie est l‘environnement
    dans lequel l’homme évolue dans sa vie quotidienne,
    au cours de ses activités de travail et de
    loisir. C’est un environnement de proximité, qui appartient
    en propre à chaque individu, qui se doit
    de le protéger, de l’aménager et de l’embellir pour
    améliorer sa qualité de vie.
    C’est aussi l’environnement égoïste du Nimby (Not
    In My Back Yard – pas dans mon jardin) d’où l’on
    rejette les projets dérangeant son territoire pour
    les rejeter chez le voisin.

  • L’ENVIRONNEMENT - GLOBAL

    L’environnement – global est celui de la biosphère
    et de la noosphère, que l’homme doit prendre en
    compte pour survivre. C’est le « monde fini » qui
    exige une gestion planétaire, en référence à une
    éthique globale pour aujourd’hui et pour demain.

  • L’ENVIRONNEMENT - PROJET COMMUNAUTAIRE

    L’environnement – projet communautaire est celui
    des sociétés humaines. C’est un environnement collectif.
    Ses valeurs, que sont la solidarité et la démocratie,
    doivent en guider la gestion de sorte que
    tout un chacun s’y implique et participe à l’évolution
    du milieu.

  • L’ENVIRONNEMENT AFFECTIF

    L’environnement – affectif où chacun projette sa
    subjectivité. Il ne se rapporte donc pas au réel, mais
    à la représentation que chaque individu s’en fait.
    Ne faudrait-il pas aujourd’hui aussi ajouter une
    dixième catégorie ?

  • L’ENVIRONNEMENT - VIRTUALITÉ MÉDIATIQUE

    L’environnement – virtualité médiatique est celui
    dans lequel l’homme, et particulièrement le jeune
    enfant, sont confrontés à une nature déformée par
    les médias audiovisuels à des fins publicitaires. Pensons
    à la vache de Milka, aux poissons panés que
    pêche le capitaine, des publicités qui proposent à
    l’esprit du téléspectateur une image virtuelle et
    tronquée de la nature ?

Chaque être humain possède ainsi son propre environnement,
subtil mélange des différentes formes listées
ci-dessus. Un environnement construit, faisant
partie de son habitus, de son milieu de vie, et lié à
ses conceptions idéologiques et religieuses. Ainsi
chaque individu ressent les problèmes d’environnement
avec une sensibilité différente et réagit avec
plus ou moins d’intensité.

Une des recherches les plus récentes sur le sujet des
typologies relatives à l’environnement est la thèse de
doctorat de Cécile Fortin-Debart (2003) qui a tenté
de limiter la typologie des représentations de l’environnement
à quatre catégories, le biocentrisme,
l’écocentrisme, l’anthropocentrisme et le sociocentrisme
 ; elle en propose un schéma relatif à l’étude
de la forêt :

  • Le biocentrisme est une représentation dans
    laquelle l’environnement est assimilé à la nature et
    à ses éléments vivants (faune, flore). Cette représentation
    de l’environnement se rapproche de
    l’expression proposée par Sauvé : l’environnement-
    nature.
  • L’écocentrisme est une représentation écosystémique
    de l’environnement, mettant en avant la notion
    de systèmes, d’écosystème ou de géosystème.
    Elle se rapproche des expressions environnementsystème
    et environnement-global proposées par
    Sauvé.
  • L’anthropocentrisme est une représentation où
    l’environnement n’existe donc que quand l’homme
    est concerné et affecté. Les relations homme-environnement
    correspondent à trois expressions de
    Sauvé : l’environnement-ressource, l’environnement-
    problème et l’environnement-milieu de vie.
  • Le sociocentrisme, quatrième représentation de
    l’environnement centrée sur les systèmes sociaux,
    permet de repenser un certain nombre de rapports
    face à l’environnement : rapport entre science et
    politique, rapport entre science et société etc.

Sauvé distingue quant à elle l’environnement-projet
communautaire.


LA SOCIOLOGIE DE LA NATURE ET SA PERCEPTION PAR LES USAGERS.

La sociologie de l’éducation (Van Haecht 2010) utilise
différentes typologies de la relation à la nature,
elle peut s’inspirer des différentes cités définies par
Boltanski & Thévenot (1991). Ils distinguent six cités
qui impliquent des formes d’accords, des objets sociaux
différents, qui permettront de reconnaître la
nature de la situation, et de savoir sur quel mode de
résolution des conflits et des controverses il faut se
positionner.

Chacune de ces cités est une logique de justification
basée sur une conception du bien naturel commun.
Derouet (1992) a repris l’idée des cités qu’il à réduit
à quatre logiques limitées aux catégories économiques
de Boltanski et Thévenot.

Reprenons et fusionnons ces typologies pour essayer
de les adapter aux usages que les humains font de la
nature :

  • La cité de la nature domestique et la logique domestique
    de la nature qui est l’objet d’usages traditionnels,
    où on ne se pose pas de questions
    relatives à l’avenir de la nature qui a toujours été
    là, du « on a toujours fait comme cela », c’est la nature
    des tendeurs et des chasseurs, des prédateurs
    inconscients des conséquences de leurs actions.
  • La cité de la nature civique et la logique civique de
    la nature où la nature est citoyenne, doit être accessible
    et respectée de tous. Ce bien commun doit
    être partagé, utilisé en pensant aux générations futures
    et géré de façon durable. C’est la nature de
    l’agriculture extensive où l’on privilégie la qualité
    des sols et leur pérennité.
  • La cité de la nature marchande et la logique marchande
    de la nature où la nature est une ressource
    dont l’homme peut disposer à son profit, qu’il peut
    échanger, dont il peut faire commerce. C’est aussi la
    nature de l’agriculture intensive qui se préoccupe
    plus de la productivité des sols, de leur rentabilité
    financière que de leur qualité.
  • La cité de la nature industrielle et la logique industrielle
    de la nature où la nature doit être rationnelle,
    productive, performante, servir à nourrir les
    hommes, fournir des matériaux utilisables.
  • La cité de la nature inspirée où la nature est
    l’oeuvre du créateur qu’il s’agit de respecter pour
    sa splendeur, sa beauté native, vis-à-vis de laquelle
    il ne faut pas intervenir, c’est aussi une nature spirituelle
    et poétique.
  • La cité de la nature de l’opinion où la nature est un
    objet de valorisation de ses richesses floristiques ou
    faunistiques. C’est celle des naturalistes et des écologistes
    qui la défendent contre les différentes prédations
    ou invasions.

Les cités et les logiques ne sont pas exclusives, les acteurs
peuvent se déplacer d’une cité à l’autre en
fonction des circonstances et des opportunités sociales,
ils peuvent alors modifier leur logique argumentative.
Voici donc trois approches différentes et complémentaires
de la perception de l’environnement par
les individus.

Quant à moi, je m’inscris dans une perception de l’environnement
à la fois problème, système, milieu de
vie, global et projet communautaire, dans la catégorie
écocentrisme et je vis dans une cité de la nature à
la fois civique et de l’opinion.
Et vous, comment vous situez-vous par rapport à ces
approches ?

Marc De Brouwer

Le rococo, qui témoigne d’une affection particulière pour
les fantaisies de la nature, illustre à merveille le mode désinvolte
qui caractérise la société au milieu du XVIIIème
siècle.