La Cityvision : Une nouvelle ambition pour les transports publics urbains et le développement de Bruxelles

Résumé

Par Luc Lebrun, Vincent Carton, Michel Hubert et al. [1]

Ce document est soutenu par SMoB (Sustainable Mobility in Brussels) qui fédère les associations suivantes actives en matière de mobilité à Bruxelles : Inter-Environnement Bruxelles (IEB),
Brusselse Raad voor het Leefmilieu (BRaL), Atelier de recherche et d’action urbaines (ARAU), TreinTramBus ! (BTTB), NoMo - Autrement mobile, Ligue des familles, Gezinsbond,
Fietsersbond, Gracq - les cyclistes quotidiens, Wolu-Inter-Quartiers, (WIQ), le Comité de défense des habitants de Bruxelles centre, Forest Inter-Quartiers, l’Association de Comités de Quartier Ucclois (ACQU), le Comité Longchamp-Messidor, Friends of the Earth Belgium, le Comité de défense de l’Altitude Cent (CODA), 4X4 info.

Le Comité régional bruxellois de la CSC soutient également les orientations défendues dans ce document, de même que le collectif Disturb et ACW Brussel. D’autres associations et organisations
seront invitées à se joindre aux premiers signataires pour demander la réouverture du débat sur la vision de la mobilité et du système de transport à Bruxelles.

1. Pourquoi une vision alternative à la « métrovision » de la STIB ?

« Le nouveau métro fait bouger Bruxelles », tel était le slogan qui
accompagnait, le 4 avril dernier, le lancement du « nouveau »
métro bruxellois. L’inauguration de la station Gare de l’ouest et la
réorganisation du réseau métro étaient en effet présentées par
les responsables de la STIB à la fois comme l’aboutissement de
plusieurs années de « restructuration » des réseaux tram, bus et
métro, et le début d’une nouvelle ère, celle où l’on allait enfin pouvoir
envisager de nouvelles extensions du métro, celle de la
« métrovision » [2].

En quoi consiste cette « métrovision » ? Elle consiste schématiquement
à définir quelques « lignes fortes », complétées par
des lignes de rabattement, puis des lignes locales. Dans l’idée,
l’usager commence son trajet sur une ligne locale, saute dans une
ligne de rabattement de tram ou bus, jusqu’à une correspondance
vers une ligne forte, de type métro. C’est la métaphore des
petits ruisseaux, qui se versent dans les rivières, qui se jettent
dans des fleuves… Cette « métrovision » est déjà à l’oeuvre aujourd’hui
et est appelée, selon ses défenseurs, à se renforcer à l’avenir
avec de nouvelles extensions de métro, au nord d’abord vers
Schaerbeek, au sud ensuite vers Uccle, et à l’est enfin à travers
Ixelles et le Quartier européen.

Qu’est-ce que cela signifie sur le terrain pour les usagers ? Un
nombre invraisemblable de correspondances.
Alors que le trajet moyen effectué à Bruxelles est
long de 4,5 km, le temps total d’attente est disproportionné par
rapport au temps de parcours et parfois supérieur à celui-ci. Une
analyse de la STIB, réalisée en mai 2005 sur le nombre de liaisons
directes et de trajets à une, deux ou trois correspondances
entre 27 lieux importants reliés deux à deux, a montré en effet
qu’après la restructuration des réseaux trams et bus, seules 13%
des liaisons sont directes, 72% se font au moyen d’une correspondance
et 15% au moyen de 2 correspondances ou plus. Quand on
sait que, outre le temps perdu, les usagers apprécient très peu
les changements de tram/bus/métro, spécialement pénibles
pour les personnes à mobilité réduite (personnes âgées, parents
avec enfants, personnes avec bagages ou courses, personnes
avec un handicap, etc.), on comprend mieux le peu de succès des
transports publics à Bruxelles (à peine 30 % de parts de marché
aux heures de pointe, moins de 10 % dans de nombreux cas [3]).

D’où vient cette « métrovision » ? Au départ, il s’agit d’un
geste d’impuissance de la STIB devant la difficulté d’assurer la
régularité de ses lignes – que lui impose son contrat de gestion
avec la Région. Un grand nombre d’entre elles, en effet, sont
engluées dans des embouteillages
que beaucoup de
Communes ne combattent pas et
que la Région elle-même peine à
remettre en cause. Concentrer les
moyens sur quelques « lignes
fortes » est donc d’abord une
réaction de repli de la STIB sur les
parties du réseau – métro ou
tram en site propre - qu’elle maîtrise.
Plus récemment, cette
« métrovision » s’est convertie en
une opération de lobbying
intense de la STIB pour remettre
à l’ordre du jour l’extension du
métro, à la grande satisfaction de
certains ingénieurs-maison frustrés
de n’avoir pu réaliser de
grands travaux souterrains depuis
la création de la Région.

Pourquoi cette « métrovision » n’est-elle pas la solution pour Bruxelles ?
1) Parce qu’on a commencé
le métro à Bruxelles il y a
quarante ans ; 2) qu’aujourd’hui,
il dessert directement à peine 20 %
de la population de la capitale ;
3) et que les conditions de déplacement
à Bruxelles ne se sont pas
améliorées pour autant, bien au
contraire : le temps moyen de
trajet de porte à porte a augmenté,
parce que ni les trams, ni
les bus, ni les métros ne roulent
plus vite (c’est généralement le
contraire), alors qu’il faut ajouter
un grand nombre de correspondances.

Pourquoi faut-il une nouvelle ambition et une autre vision que
la « métrovision » pour les transports publics urbains à Bruxelles ?

Parce qu’on ne peut
pas se permettre d’attendre
encore quarante ans et dépenser
des milliards d’euros pour des
solutions partielles, en l’occurence
un réseau de métro qui ne
raccourcira pas fondamentalement
le temps total (porte à
porte) de déplacement de la
majorité des usagers, qui est
pourtant l’élément premier de
l’attractivité des transports
publics. Parce que la « métrovision
 » de la STIB est hasardeuse
et fragile, tant financièrement
(dans un contexte de déficit
public gravissime) que techniquement
(des exemples étrangers,
comme Cologne, montrent que
des difficultés imprévisibles peuvent
retarder de plusieurs années
les chantiers). Parce qu’il y a
moyen de faire beaucoup mieux
et beaucoup plus rapidement.
Parce que les conditions de circulation
à Bruxelles ont empiré
depuis le moment (début des
années 2000) où la restructuration
du réseau de transport
public a été envisagée et parce
que plusieurs Communes sont
prêtes aujourd’hui à œuvrer en
faveur d’une mobilité durable.
Parce qu’il faut mettre les
moyens disponibles pour le transport
public au service non seulement
d’une politique de la mobilité,
mais aussi d’une vision de
l’aménagement du territoire, de
la cohésion sociale et de la ville
dans son ensemble. Parce que
cette politique et cette vision doivent
être définies par la Région
avant toute décision (comme la
prolongation du métro ou l’achat
d’un type de matériel roulant)
susceptible d’avoir des conséquences
à long terme. Parce que
tout simplement le nouveau
Gouvernement a décidé que le
plan tram-bus devait être revu
« afin de limiter au maximum les
ruptures de charge et d’améliorer
la desserte des quartiers » [4] et
que cela ne peut se faire sans un
changement radical dans la
conception du système de transport
bruxellois
. Il faut aujourd’hui
avoir pour objectif d’assurer
une mobilité garantissant le droit
de tous à se déplacer à Bruxelles
dans les meilleures conditions
possibles (vitesse, régularité,
confort…), dans le respect de
l’environnement global (changements
climatiques) et urbain
(bruit, pollution atmosphérique,
qualité de l’espace public...) et
dans une vision à long terme du
développement urbain.
Lorsque, après de longs débats, la
Région bruxelloise accepta en
2003 le plan de restructuration
de son réseau tram, c’était à la
condition, selon le Directeur général
adjoint de la STIB de
l’époque, Steven VANACKERE,
aujourd’hui Vice-premier Ministre
dans le gouvernement fédéral,
que les lignes exclues (pour cause
d’irrégularité) du tunnel Nord-
Sud de pré-métro y soient réintroduites
dès que leur circulation
en surface aura été améliorée
(actuellement, seules deux lignes
circulent encore dans ce tunnel
sur les cinq initiales). Il faut relancer
cette philosophie et cet engagement
aujourd’hui, et mettre en
oeuvre, de manière résolue, un
plan de développement des
transports publics urbains qui
prenne acte du réseau souterrain
existant et optimise son exploitation
en prenant en compte les
déplacements des usagers dans la
ville, au lieu de fermer ce réseau
sur lui-même. Seuls, les responsables
politiques peuvent montrer
leur volonté d’aller de
l’avant rapidement dans la voie
que nous traçons ici, au grand
bénéfice de Bruxelles, de ses
habitants, de ses travailleurs, de
ses entreprises, de ses commerces
et de sa vie culturelle et sociale.

2. Notre proposition pour le réseau ferré de transports publics urbains à Bruxelles : la « cityvision  »

En quoi consiste notre proposition
 ? Elle consiste tout d’abord à
optimiser l’usage des tunnels
existants, tant de métro que de
pré-métro, en y faisant circuler
des lignes directement connectées
aux principaux points névralgiques
de la capitale (centre,
haut de la ville, grandes gares,
quartiers des bureaux) au départ
de tous les coins de la ville. Cela
peut se faire, d’une part, avec
une formule de métro léger,
compatible avec le métro lourd
existant (et qui continuerait à
exister), comme à Amsterdam ou
Francfort, et, d’autre part, avec
une formule de semi-métro avec
des trams classiques circulant en
sites propres en surface et (partiellement)
en tunnel [5]. Elle
consiste ensuite à compléter le
remaillage du réseau et l’allègement
des « lignes fortes » en
recréant des lignes de tram en
surface, notamment dans le
Pentagone.
Le réseau que nous proposons est
constitué de 23 lignes organisées
autour de 6 axes principaux. Ces
lignes se concentrent au fur et à
mesure qu’elles approchent des
points névralgiques de la ville,
parce que cela correspond aux
flux de déplacements. La « cityvision
 » repose ainsi sur une
logique d’arborescence et d’unification
du territoire, qui se substitue
à la logique de rabattement
de la STIB. De la sorte, on peut :
1) assurer les liaisons directes
demandées ; 2) garantir une fréquence
attractive en première
couronne et au centre, sans gaspillage
de moyens en 2ème couronne
 ; et 3) assurer la capacité
requise en fonction du lieu.

Qu’est-ce que notre proposition suppose ?
Le réseau proposé
devrait être desservi par des véhicules
adéquats, ce qui implique
une petite gymnastique technique
pour rattraper les erreurs
de conception du passé (quais
hauts dans le métro, trams bidirectionnels…),
mais qui est parfaitement
maîtrisée à l’étranger,
dans des villes ayant dû corriger
les mêmes erreurs (Amsterdam,
Rotterdam, Francfort,…). Notre
proposition suppose aussi de
faire des efforts supplémentaires
en faveur de la vitesse et de la
régularité des transports publics
en surface, pour les rendre réellement
prioritaires sur la circulation
automobile : sites propres, feux
prioritaires, mesures locales de
circulation,... Un très grand
nombre de villes en Europe
(suisses, allemandes, françaises,
néerlandaises...) sont passées par
là. Même dans une ville comme
Marseille, où la voiture semblait
intouchable, la nouvelle ligne de
tram a partiellement remis en
cause sa domination dans l’espace
public. Pourquoi pas à
Bruxelles ?

Pourquoi notre proposition se centre-t-elle sur le réseau ferré ?
Parce qu’il est au coeur de la
« métrovision » de la STIB et que
c’est dans ce domaine qu’une
série de décisions importantes,
engageant lourdement l’avenir,
doivent être prises dans un avenir
proche. Mais notre proposition
tient compte aussi du réseau RER
dont la desserte devrait rencontrer
certains besoins de déplacement
intra-bruxellois (essentiellement,
nord-sud), si le
Gouvernement régional parvient
à peser de tout son poids dans les
négociations en cours.
Au total, avec un réseau de bus
et de tram coordonné (STIB, De
Lijn et Tec) qui tiendrait compte
également des besoins de la
grande périphérie, notre capitale
serait dotée d’un réseau complet
de transports en commun, cohérent,
intégré sur le plan tarifaire,
conduisant rapidement les usagers
où ils doivent se rendre,
grâce à d’énormes gains de
temps sur les correspondances
évitées.

Notre proposition est-elle plus efficace pour l’usager ?
Sans
aucun doute ! Ce projet – qui est
donné à titre indicatif et peut
être modifié dans toute la
mesure où on ne porte pas
atteinte à son principe de base –
comporte 24 lignes ferrées, dont
2 de métro, 4 de métro léger, 6
de semi-métro et 12 de tram. Ceci
est à comparer à la situation
actuelle, avec 24 lignes, dont 4 de
métro, 5 de semi-métro et 15 de
tram. La grande différence est
que, dans notre proposition, on
assure la continuité des déplacements
des usagers (gain de temps
en moyenne de 20 à 25%) et une
couverture territoriale plus large
(en ce compris, les zones de développement
de la ville, telles que
Tour & Taxis).

Notre proposition est-elle faisable économiquement ?
Oui !
Les investissements en infrastructure
– qu’il serait malhonnête de
ne pas prendre en considération
(cf. les calculs de la STIB pour
« prouver » la rentabilité du
métro) sous le prétexte qu’ils
seraient pris en charge par la
Région ou l’Etat fédéral via Beliris
(ce qui, on le reconnaîtra, est
assez incertain dans le contexte
actuel) – seraient d’environ 600
millions d’euros pour le noyau
principal (environ 55 km de nouvelles
voies ferrées). Pour le prix
d’une ligne de métro de moins de
10 km kilomètres, on aurait ici un
réseau ferré complet et efficace.
En ce qui concerne le matériel
roulant, le coût marginal du projet
est à peu près nul et, en
termes d’exploitation, il ne
devrait pas être significatif non
plus, compte tenu de la rentabilité
des nouvelles lignes (en comparaison
avec certaines lignes, de
bus notamment, aujourd’hui largement
sous-utilisées car peu
efficaces).

Combien de temps faudrait-il
pour mettre en oeuvre notre proposition
 ?
C’est faisable en dix
ans, avec des résultats déjà très
palpables au terme de la présente
législature. Et cela ne créerait
pas moins d’emplois que la
construction d’un métro lourd,
tout en laissant des marges pour
d’autres investissements dans le
domaine de la mobilité et pour
les autres priorités bruxelloises
(logement, formation, aménagement
des zones-leviers,...). Une
telle politique serait certes moins
« grandiose » et nécessiterait du
courage politique — celui de
redistribuer l’espace public au
détriment, parfois, de la voiture.
Elle rendrait cependant service à
l’ensemble des quartiers et des
habitants, alors que le métro
lourd n’a un effet positif que sur
un corridor limité et ne résout
pas le problème de l’accroissement
de la circulation automobile.
Bruxelles, capitale de
l’Europe, pourrait alors être enfin
montrée en exemple pour sa politique
de mobilité.

3. Quelques conditions politiques de réalisation

On se demande parfois, dans les
relations entre la Région de
Bruxelles-Capitale et son opérateur
de transport, la STIB, qui est
l’ « autorité organisatrice », tellement
la Région a été en peine
jusqu’ici de définir sa propre politique
et vision de la mobilité et
de l’imposer à l’exploitant, c-à-d
la STIB. En témoigne le difficile
accouchement — on devrait dire
la fausse couche — du nouveau
plan régional des déplacements,
dit Plan Iris 2.

La première condition pour sortir
de l’impasse dans laquelle se
trouvent les transports publics à
Bruxelles est donc, pour la Région
de Bruxelles-Capitale, de s’émanciper
quelque peu de la STIB.
Autrement dit, il s’agit pour les
responsables politiques de se
donner les moyens de se forger,
en toute autonomie, leur propre
vision de la ville et de la mobilité.
Le rôle de la STIB ne se résume
bien sûr pas à celui d’un simple
exécutant, mais, en tant que partenaire
de la Région, elle n’a pas
à se substituer à elle dans les
orientations fondamentales à
donner à la politique urbaine.

La deuxième condition pour la
Région est ensuite d’assumer ses
responsabilités par rapport à la
demande générale d’amélioration
des déplacements à Bruxelles
et par rapport aux enjeux
sociaux, économiques, environnementaux
et autres qui y sont liés.
Cela suppose : 1) d’inscrire la
mobilité au coeur de la politique
urbaine en général ; 2) d’opter
très rapidement [6] pour une vision
d’avenir qui soit au service de
tous et qui n’engage pas les
générations futures sur un chemin
aussi hasardeux que la
« métrovision » de la STIB ;
3) d’éviter de prendre des décisions
immédiates qui orientent
l’avenir dans une mauvaise direction
(acquisition de nouvelles
rames de métro lourd plutôt que
léger, fermeture de la station
Albert sur elle-même…).

La troisième condition est de ne pas trop tergiverser. En effet, il
est possible, à l’horizon de la fin
de la nouvelle législature (soit
dans cinq ans), de voir un nombre
significatif de résultats réels
(rétablissement de lignes supprimées
et mise en service de nouvelles
lignes et tronçons reconstituant
le puzzle et diminuant les
temps de parcours déjà pour un
nombre impressionnant d’usagers).
A ce moment, les décisions
ultérieures ne poseront plus de
problèmes, parce que tout le
monde en voudra (cf. la dynamique
française autour des projets
de lignes de tram — à
Montpellier par exemple, les
communes et les habitants se battent
pour obtenir le passage du
tram par chez eux). Les cinq
années ultérieures permettront
alors la réalisation du reste,
conditionnée plus par l’impossibilité
matérielle de mener tous les
projets en même temps que par
des limites dictées par le budget,
puisque celui-ci est nettement
inférieur à celui de la « métrovision
 » de la STIB.

La quatrième condition est de mener une politique véritablement
régionale. La mobilité est
en effet une matière où tout le
monde s’accorde à dire que
l’échelle régionale – voire métropolitaine
– est la plus adéquate.
Pour ce faire, la participation des
Communes est essentielle. Afin
d’améliorer les performances des
trams et des bus circulant en surface,
un système d’intéressement
de celles-ci aux gains de vitesse
commerciale devrait être établi
dans le cadre de la relation de la
Région avec les pouvoirs locaux :
les gains de vitesse évalués en
euros seraient par exemple répartis
pour moitié entre la commune
concernée et la STIB [7].


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24 décembre 2009