LE « SAUCISSONNAGE », OU L’ART DE CONTOURNER LA LOI...

« Dans le petit monde de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et de l’environnement, nul n’ignore que la pratique du « saucissonnage », soit le fractionnement d’un projet unique en plusieurs projets dans le but d’éluder certaines contraintes procédurales ou de fond, suscite un important contentieux concernant des projets d’envergure et, souvent, à forte charge politique et médiatique. »
https://www.stibbe.com/en/news/2016/december/saucissonnage--labsence-formelle-dunicit-de-lvaluation-des-incidencesnaffecte-pas-ncessairement-la

Résumons:Nous avons un grand, voire un très grand projet, complexe et qui nécessite des autorisations légales pour être mis en œuvre. Celles-ci peuvent être diverses et variées : permis d’urbanisme, permis d’environnement, permis patrimoine et pour certaines et selon les cas, elles demandent parfois des études complémentaires comme une évaluation des incidences environnementales (rapport ou études d’incidences) et/ou évaluation appropriée des incidences pour les sites Natura 2000 (le réseau Natura 2000 constitue un vaste réseau écologique pour lequel l’Union Européenne a adopté deux directives, la Directive « Oiseaux » et la Directive « Habitats »)

La finalité de ces études est d’informer le public et l’autorité chargée de statuer sur la demande des permis, des incidences positives et négatives du projet sur l’environnement, et de proposer des solutions pour en limiter les nuisances éventuelles.
Evidemment, une étude d’incidence par exemple, est un processus complexe, puisqu’elle porte sur des projets susceptibles d’engendrer un impact environnemental important : elle est par exemple motivée pour la création de plus de 200 places de parking. Elle doit être réalisée par un bureau d’études spécialisé.

Tout ça n’est évidemment pas pour plaire aux promoteurs : les études d’incidence prennent beaucoup de temps et surtout elles risquent, puisqu’elles doivent juger de la faisabilité de leur projet via les incidences qu’ils ont sur l’environnement (mobilité, bruit, environnement, pollution,…), de ne pas être en leur faveur… ou de leur imposer certaines restrictions, certains aménagements obligatoires et/ou certaines conditions.

De plus, les délais administratifs sont longs et ils ne sont pas à l’abri d’éventuels recours.

A Bruxelles comme ailleurs, on ne peut pas faire ce qu’on veut en matière d’urbanisme et d’environnement : il faut respecter les différentes possibilités légales des lieux. Par exemple, on ne peut normalement pas construire un centre de « wellness » agrémenté d’un hôtel dans une zone de sport et loisir de plein air au PRAS (Plan Régional d’Affectation des Sols), on ne peut normalement pas construire un parking dans une zone classée Natura 2000, etc…Et on doit étudier les incidences des projets au-delà de certains seuils d’exploitation.

Que faire ?

Face à cette réalité institutionnelle complexe mais qui permet normalement de juger de la bonne opportunité des projets pour le plus grand nombre, la manière la plus sage serait bien entendu d’imaginer des projets conformes avec les potentialités et possibilités des lieux. D’introduire des demandes de permis qui entrent plus ou moins dans les attendus des études d’incidences, en conformité avec l’affectation possible des sols, voire qui y dérogent un peu. Il n’est évidemment pas interdit de demander des dérogations, pour peu qu’elles soient un minimum réalistes….et d’attendre le temps nécessaire à l’obtention des permis avant de mettre son projet en œuvre.

Evidemment, cette solution n’arrange pas les promoteurs qui voient le plus souvent l’affaire d’un autre œil et qui veulent non seulement que leurs projets voient le jour mais en plus qu’ils leur assurent une rentabilité rapide et importante.

La voie du saucissonnage est donc ouverte !

A Bruxelles comme ailleurs, on ne peut pas faire ce qu’on veut en matière d’urbanisme et d’environnement : il faut respecter les différentes possibilités légales des lieux. Par exemple, on ne peut normalement pas construire un centre de « wellness » agrémenté d’un hôtel dans une zone de sport et loisir de plein air au PRAS (Plan Régional d’Affectation des Sols), on ne peut normalement pas construire un parking dans une zone classée Natura 2000, etc…Et on doit étudier les incidences des projets au-delà de certains seuils d’exploitation.

Le saucissonnage

Le saucissonnage, comme son nom l’indique, consiste à fractionner un projet unique en plusieurs dans le but d’éluder certaines contraintes procédurales ou de fond et de gagner du temps.

Pour les promoteurs, l’intérêt est multiple, comme celui par exemple d’éviter certaines études complémentaires : si je veux que mon projet bénéficie d’un parking de 400 places, le COBAT m’impose la réalisation d’une étude d’incidence qui va prendre du temps, être coûteuse et je n’ai pas de garantie que ses conclusions me seront favorables, alors que si je demande une première fois 199 places, et l’année suivante encore 199 places, j’échappe à cette contrainte. Le résultat de mon petit tour de passe-passe sera donc que j’aurai obtenu quasi ce que je voulais, un parking de 398 places, en échappant à l’étude d’incidence, en gagnant du temps et de l’argent.

Cette technique est bien entendu illégale, car au final les incidences du projet n’auront pas été étudiées, et doit être condamnée.

Un exemple très actuel : le projet DROH !ME

Le projet « DROH !ME », relatif à la réhabilitation de l’hippodrome de Boitsfort (mais situé sur le territoire d’Uccle) est exemplatif de notre propos.

Fig. 1 : Le site de l’Hippodrome de Boitsfort vu du ciel en lisière de Forêt de Soignes (photo Bing)

Il s’agit d’un projet d’envergure régionale, porté par le politique ; il en est d’ailleurs question dans le nouveau projet de PRDD ; il consiste en « l’aménagement d’un parc de loisirs actifs afin d’y développer des activités culturelles, sportives, éducatives, de détente et en lien avec la nature ».

Fig. 2 : La Zone Spéciale de Conservation de la Forêt de Soignes et le site de l’Hippodrome de Boitsfort !

En résumé, la demande consiste en :

  • la transformation de différents bâtiments existants en salles polyvalentes, en équipement d’intérêt collectif en restaurant ou en brasserie, en espace d’accueil de groupes,…
  • la création de sentiers, cheminements, jardins de découvertes,…
  • la création de différentes zones de parking : allant de 30 à presque 400 places à différents endroits du site,
  • l’aménagement de différentes zones de sport,
  • le réaménagement d’un golf,
  • l’abattage d’arbres - la plantation de nouveaux arbres et autres plantations.

À Bruxelles, seules les demandes de permis d’urbanisme, de lotir ou d’environnement qui sont énumérées par les annexes A et B du COBAT, ou qui relèvent des classes 1A et 1B des installations soumises à permis d’environnement, doivent faire l’objet d’une évaluation des incidences sur l’environnement. Deux systèmes d’évaluation des incidences existent :

  • le rapport d’incidences pour les projets figurant à l’annexe B du COBAT ou relevant de la classe 1B des installations soumises à permis d’environnement.
  • l’étude d’incidences pour les projets figurant à l’annexe A du COBAT ou relevant de la classe 1A des installations soumises à permis d’environnement.
    Le rapport d’incidences, conçu à priori pour des projets aux incidences moins importantes ou plus « locales », est un outil nettement moins exigeant que l’étude d’incidences. On peut notamment relever que l’étude d’incidences est rédigée par un bureau agréé tandis que le rapport d’incidences peut être rédigé par le demandeur.

De plus, contrairement au rapport d’incidences, l’étude d’incidences fait l’objet d’un cahier des charges sur mesure soumis à enquête publique et à l’avis de la commission de concertation. La réalisation de l’étude d’incidences fait l’objet d’un suivi par un comité d’accompagnement, alors qu’aucun suivi n’est prévu pour le rapport d’incidences. http://www.ieb.be/Reformer-l-evaluation-des

Fig. 3 : Le parking « temporaire »….de Droh !me (photo Yvan Hubert)

Pour développer ce projet, le promoteur doit obtenir différents permis !
Le projet DROH !ME nécessite un permis d’urbanisme et un permis patrimoine (qui sont regroupés sous le vocable de « permis unique ») car certains biens sur le site sont classés, ainsi qu’un permis d’environnement entre autres pour les parkings. Le permis unique et le permis d’environnement regroupés s’appellent alors « procédure mixte ».

Le permis d’environnement pour la réalisation des parkings (de plus de 200 places) doit être soumis à une « étude d’incidence » en vertu de l’application de l’article 141 du COBAT (le Code bruxellois de l’Aménagement du Territoire).

Le projet Droh !me, se développe également et en grande partie sur le site classé de la Forêt de Soignes et en zone Natura 2000 ! On peut donc espérer que le rédacteur de l’étude d’incidences y sera attentif et sera critique à l’égard du gros projet immobilier et imposera des contraintes environnementales.

Fig. 4 : La pose de filets de protection dans le golf (photo Karin Stevens)

Qu’a fait le promoteur ?

Très simplement, il a déposé séparément plusieurs demandes de permis (provisoires ou non et parfois de régularisation !) et ce en dehors du contexte et de la procédure de l’étude d’incidences qui est pourtant en cours : abattage d’arbres, placement d’installations temporaires en tout genre, rénovation de différents bâtiments à vocations multiples (café - brasserie, organisation d’événements, …), placement de filets autour du golf, exploitation temporaire de parkings,….

Ce qui lui permet de gagner du temps : En effet, alors que le projet DROH !ME couve depuis le milieu des années 2000, (à savoir en 2006 : avis de marché public à conclure dans le cadre de la restauration de l’hippodrome de Boitsfort ; en 2012 : Cahier des Charges de la Concession relative à l’exploitation de l’ancien hippodrome de Boitsfort ; les premiers documents graphiques sont apparus vers 2013-2014), ce n’est qu’en juin 2017 que la demande de permis sera déposée, en rendant donc publique l’étude d’incidences.

Et d’obtenir des permis pour des demandes qui paraissent de minime importance : Si on considère ces « petites » demandes une à une, elles paraissent presqu’anodines et en harmonie avec l’environnement particulier du lieu : une petite brasserie familiale, des cours de yogas, des stages pour les enfants, une initiation au golf ouverte à un large public,…

Fig.5 : Abattages d’arbres sur le site de Droh !me avant la mise à l’enquête du projet global (photo Yvan Hubert)

Mais une fois groupées, elles constituent un projet d’envergure capable d’avoir des conséquences importantes dans différents domaines comme l’environnement, la mobilité, la protection de la nature, le bruit, la qualité de vie des habitants,…

Cela en risquant d’entraîner logiquement l’octroi du permis pour l’exploitation de l’ensemble de la demande. En effet, si un parking de plus de 200 places a été autorisé durant plusieurs mois chaque année de manière récurrente, à titre temporaire, comment tout d’un coup justifier un refus de permis définitif pour ce parking ? Ou encore, une fois un bâtiment transformé en brasserie (en l’espèce avec de l’argent public), sans qu’une autorisation pour le stationnement ait été demandée, pourquoi refuser ultérieurement qu’il soit exploité dans des conditions apparemment normales, c’est à dire en disposant d’un parking, et en autorisant la mise en place d’une terrasse extérieure non demandée lors de l’introduction de la première demande de permis… ?

De plus, dans cet exemple du projet Droh !me, il y a tout lieu de craindre que quand l’aspect « nature » (jeux – golf – jardins de découvertes, …) sera
réglé, la vraie finalité du projet (l’organisation d’événements mondains) fera insidieusement son apparition. Ceci va « dénaturer » le projet initial en lui donnant un caractère commercial, en drainant dans ce coin de forêt beaucoup de monde et donc de voitures, et en multipliant les pollutions environnementales (bruit jusque tard dans la nuit, lumière néfaste à la faune, trafic automobile intense, ...)

Précisons que le promoteur est en possession de l’étude d’incidences depuis plusieurs mois mais qu’il attend pour la rendre publique… !

Conclusion…

Le « saucissonnage » doit être condamné non seulement parce qu’il est illégal, mais plus encore parce qu’il aboutit concrètement à prendre des décisions en matière d’urbanisme et d’environnement sans avoir connaissance des conclusions des études, ce qui équivaut à délivrer des permis sans connaître les incidences réelles et globales de l’exploitation du projet pris dans sa globalité. Et ce qui va à l’encontre des politiques menées par la Région en termes de protection de l’environnement, de la qualité de vie et de la mobilité….

Florence VANDEN EEDE