« L’accès à un logement pour tous est primordial. Le fait de ne pas trouver de logement constitue la principale source de pauvreté et d’exclusion sociale. [1] »
Tel est le motif invoqué par le gouvernement pour justifier la nécessité urgente de modifier le PRAS.
On ne peut évidemment qu’approuver le but mentionné ci-dessus. Cependant, très vite le discours officiel dévie vers des considérations chiffrées dont l’interprétation des résultats laisse perplexe. Au final, on constate un large décalage entre l’objectif premier et les moyens mis en œuvre qui semblent suivre un tout autre but…
1. La justification chiffrée.
Le projet de modification du PRAS cherche sa légitimité dans le fait que le potentiel foncier résiduaire libre en région bruxelloise serait trop limité dans le cadre règlementaire existant. Cette affirmation se base sur une étude confidentielle dont nous n’avons pas pu prendre connaissance.
Considérant un taux d’occupation de 2,05 habitants par 90m2 de plancher, considérant les zones réservées au logement que le PRAS permet encore légalement d’occuper, l’étude arrive à la conclusion que seuls 77.000 habitants supplémentaires pourront trouver à se loger à Bruxelles dans le futur alors que les statistiques prédisent une augmentation de la population de près de 140.000 personnes en 10 ans [2].
Ces chiffres doivent être toutefois nuancés :
Par contre - et c’est là évidemment que se situe le véritable enjeu – une analyse détaillée de plusieurs études récentes et relatives à la question du logement [3] permet d’aboutir à la conclusion flagrante que les besoins prioritaires liés au boom démographique se situeront dans la production d’écoles et de crèches, de logements adaptés et abordables pour les familles nombreuses à petit revenu, pour les familles monoparentales et pour les personnes âgées (logements intergénérationnels).
2. Les moyens mis en œuvre.
Les moyens mis en œuvre par le nouveau PRAS ne répondent pas à ces besoins. L’adaptation du plan vise avant tout à rendre la Région de Bruxelles Capitale davantage attractive aux yeux des investisseurs :
Depuis quelques années le logement (de standing) est devenu à Bruxelles une fonction forte et rentable à l’investissement. Les opérateurs privés n’ont d’ailleurs pas attendu l’adaptation du PRAS pour inonder Bruxelles de nouveaux projets résidentiels. Le projet de PRAS Démographique vise à soutenir ce changement de conjoncture, à faciliter la construction du logement sur l’ensemble du territoire bruxellois.
Selon ce système d’esprit très néolibéral, c’est seulement de manière indirecte que les dividendes escomptés sont censés profiter en aval à l’ensemble de la société. Or, dans les faits il est clairement démontré que ces politiques d’attractivité vont surtout de pair avec un accroissement des inégalités entre groupes sociaux et territoires. Malgré un produit intérieur brut (PIB) par habitant largement supérieur à la moyenne européenne, force est de constater que le succès économique de la capitale ne profite pas à l’ensemble de ses habitants [4]. Le clivage existant au sein même des 19 communes sera à fortiori lui-même reconduit [5].
Le qualificatif de « démographique » n’est donc qu’un alibi pour faire accepter des mesures dont l’objectif premier est de conforter l’investissement privé et le grand Business à Bruxelles (plutôt qu’ailleurs). |
---|
Notons que cette dynamique néolibérale tend également à introduire une absurde concurrence économique entre les 3 Régions qui se partagent l’ancien Brabant [6]. Le PDI (Plan de Développement International [7]), sur lequel se fonde en grande partie le projet de PRAS Démographique, est lui-même empreint de cet esprit commercial, de cette logique de « Benchmarking » [8] , mais à un niveau européen. Dans ce cadre particulier, le foncier est considéré comme un vulgaire produit commercial et spéculatif qu’on s’échange en fonction des opportunités et du cours du marché.
Retour à la table des matières.
[1] Ministère de la région de Bruxelles-capitale, Le PRAS démographique, brochure explicative, printemps 2012, p7.
[2] Les cahiers de l’IBSA, Op.cit., p.16.
[3] Seconde partie de l’étude issue des Cahiers de l’IBSA, n° 1, mai 2010 ; plusieurs Dossiers du baromètre conjoncturel (n°15 : Essor démographique et milieux d’accueil pour la petite enfance : l’apport du Monitoring des Quartiers, 2010), n°13 : Les communes bruxelloises : structure par âge (2009), n°12 : 20 ans d’évolutions socio-économiques bruxelloises (2009), le Baromètre social bruxellois 2011, l’étude de 2007 « La Région de Bruxelles Capitale face à son habitat : étude structurelle et prospective », l’Observatoire des loyers, enquête 2010 ou encore le Monitoring des quartiers. Pour la plupart ces études ont été réalisées pour la Région bruxelloise ou encore pour la COCOF.
[4] Institut bruxellois de Statistique et d’Analyse, Dossier du baromètre conjoncturel n°19 : La pauvreté à Bruxelles : constats et évolutions, Bruxelles, 2011.
[5] Les cahiers de l’IBSA, Op.cit., p.36.
[6] En résulte des situations aberrantes telles que la projection de trois méga centres commerciaux rivaux ( au Heysel, le long du canal et à Machelen) distants l’un de l’autre d’une dizaine de kilomètres à peine.
[7] Notons que la PDI n’a jamais fait l’objet d’une consultation ou d’une enquête publique. Ce plan d’intentions à été autoproclamé par le gouvernement comme étant le « nouvel outil de gouvernance qui, après le Plan Régional de Développement et le Contrat pour l’Economie et l’Emploi, doit permettre la promotion et l’encadrement du caractère international de la ville-Région ».
[8] Un benchmark est un indicateur chiffré de performance dans un domaine donné (qualité, productivité, etc.) tiré de l’observation des résultats de la ville qui, dans un territoire donné, a réussi le mieux dans ce domaine. Cet indicateur peut servir à définir les objectifs des villes qui cherchent à rivaliser avec elles.