LA MOBILITÉ À BRUXELLES

Trop souvent, les études sur la mobilité ne prennent pas en compte un principe essentiel : la mobilité ne doit pas être considérée comme un but en soi, mais bien comme un moyen d’améliorer notre vie quotidienne.

En d’autres termes, il faut éviter qu’une priorité donnée à un mode quelconque de déplacement n’induise, directement ou indirectement, une dégradation de l’environnement et des conditions de vie. Les vols de nuit en sont un exemple criant. Mais c’est également le cas, à des degrés variables, pour tous les modes de transport mécanisés de surface. Pour les voitures, évidemment. Mais aussi pour les transports en commun, à commencer par le tram, trop souvent présenté comme une solution de choix.

Or, pour qu’une ligne de tram soit performante, il faut nécessairement qu’elle soit implantée en site propre, et prioritaire non seulement vis-àvis des automobilistes mais aussi vis-à-vis des piétons, cyclistes, etc. En pratique, cela entraîne (trop) souvent une coupure dans le tissu urbain : un exemple, certes extrême, se trouve avenue Van Volxem, à Forest, où des barrières de sécurité, placées de part et d’autre du site propre du tram, séparent hermétiquement le côté pair du côté impair de l’avenue (sauf aux carrefours munis de feux tricolores), aboutissant à une déstructuration du tissu urbain avoisinant.

C’est sur ces bases qu’il convient d’analyser la problématique de la mobilité à Bruxelles. Si toute amélioration notable passe par une réduction importante de la pression automobile au profit de modalités alternatives, je suis frappé par la timidité
des pouvoirs publics à mettre en œuvre des solutions peu coûteuses, implantables en quelques mois, ne nécessitant qu’un peu d’imagination, … et de courage politique.

1. Coordonner les transports en commun : obliger les quatre opérateurs de transports en commun de la Région (STIB, TEC, De Lijn, SNCB) à coordonner leurs réseaux et leurs horaires et à délivrer des titres de transport uniques valables chez tous indistinctement.

2. Augmenter la fréquence et la rapidité des transports en commun.
Accorder systématiquement une priorité inconditionnelle aux trams circulant en site propre à tous les carrefours munis de feux tricolores ; Augmenter l’offre de transports en commun en augmentant la fréquence de certaines lignes de tram (et peut-être aussi de bus) sans devoir investir dans l’achat de matériel supplémentaire, en aménageant à leurs terminus un local où le machiniste pourrait se poser pendant son temps de repos. La fréquence est un élément primordial dans un domaine où l’offre conditionne en bonne partie la demande.

Avenue Van Volxem à Forest : barrières de sécurité placées de part et d’autre du site propre du tram.

À titre d’exemple, le temps normal d’immobilisation du tram 92 à son terminus du Fort Jaco (et aussi à l’autre terminus à Schaerbeek) est de 15 minutes, réduit à 7 minutes aux heures de pointe. Certes, les machinistes ont besoin de ce repos, tant pour eux-mêmes que pour la sécurité des voyageurs, mais peut-être pas les machines.

Cela permettrait de faire repartir chaque véhicule immédiatement après son arrivée, le conducteur d’un véhicule précédent reprenant les commandes à l’issue de son temps de repos, ce qui impliquerait évidemment l’engagement de personnel supplémentaire, mais ce ne serait peut-être pas une si mauvaise idée eu égard au taux de chômage à Bruxelles.

3. Réduire la pollution automobile en adaptant la fiscalité :
Adapter la taxe de mise en circulation des véhicules à leur impact environnemental sur la Région, en incluant de multiples facteurs liés à la pollution climatique, sanitaire et environnementale au sens large du terme : impact carbone, émission de substances nocives (à commencer par les particules fines), bruit, encombrement, etc. Rappelons qu’en Flandre, les performances environnementales du véhicule déterminent le montant de la taxe ;

• Adapter progressivement la taxe annuelle de circulation des véhicules aux mêmes critères environnementaux ;

• Instaurer une taxe kilométrique sur les déplacements dans les secteurs les plus tendus de l’agglomération, en réduisant d’autant les taxes de stationnement. Il est absurde de ne taxer les voitures que lorsqu’elles stationnent et non quand elles roulent, alors que les voitures immobiles ne polluent pas. La mise en œuvre des taxes de stationnement a été rendue possible en son temps par l’installation de parcmètres.

Les techniques actuelles permettraient de taxer certains déplacements en modulant les montants en fonction de multiples critères (secteurs, jours, heures, types de véhicules, profession, etc.). Certes, cela accroîtrait les risques de fichages, mais pas plus que les horodateurs qui enregistrent les numéros des plaques d’immatriculation ou que les abonnements nominatifs aux transports en commun.

4. Sécuriser et encadrer les mobilités douces (vélo, trottinette, etc.).
La situation actuelle est anarchique, source de dangers et de dérives multiples : en pratique, les
vélos et les trottinettes électriques zigzaguent entre les voitures et/ou entre les piétons, de préférence sans casque, sans respecter les réglementations en vigueur du code de la route, notamment les feux tricolores de signalisation, et en abandonnant les engins en libre service n’importe où et n’importe comment.

Le dernier tronçon de la Chaussée de la Hulpe à Boitsfort, dans le quartier du Coin du Balai, aménagé en rue cyclable. Sensibiliser les automobilistes à une conduite plus conviviale est encore nécessaire pour en permettre le bon usage !

Les pseudo-pistes cyclables simplement matérialisées par des marquages au sol dans des artères à grand trafic, où les limitations de vitesse sont trop souvent ignorées par les automobilistes, représentent certes une première étape importante, mais ne constituent malheureusement pas une protection suffisante. Il faudrait :

• Créer partout où c’est possible de véritables pistes cyclables matériellement séparées du trafic automobile ;
• Multiplier les rues cyclables. Pour rappel, la rue cyclable est une voie dans laquelle la place est insuffisante pour installer une piste cyclable. Les cyclistes y ont priorité absolue sur le trafic automobile, le passage des voitures n’y est autorisé qu’à une vitesse inférieure à 30 km/h. Le dernier tronçon de la chaussée de la Hulpe à Boitsfort, dans le quartier du Coin du Balai, en est un bon exemple : l’étroite chaussée suit, à quelques dizaines de mètres de distance, un tracé parallèle à celui d’une voie à grand trafic, l’avenue de la Foresterie.
• Créer un véritable maillage de pistes et rues cyclables couvrant tout le territoire de la Région ;
• Définir et promulguer d’urgence une réglementation (cohérente sur l’ensemble de la Région) relative à la circulation des trottinettes électriques. Imposer à leurs utilisateurs le port du casque, le respect des feux de signalisation, leur interdire de rouler sur les trottoirs, limiter la vitesse autorisée (à 20 km/h ?).
• Créer pour les vélos, trottinettes, etc. des zones de stationnement obligatoires clairement délimitées (comme la ville de Paris vient de le décider) ;
• Faire respecter rigoureusement par les cyclistes et utilisateurs de trottinettes électriques les réglementations du code de la route qui les concernent.
• Définir et promulguer des dispositions légales (assurance obligatoire ?) en vue de garantir que les victimes d’accidents causés par les vélos et trottinettes électriques soient correctement indemnisées.

5. Prévoir des délais courts d’achèvement dans tous les appels d’offres pour les travaux d’aménagement des voiries, et les faire rigoureusement respecter.
À titre d’exemple, l’aménagement du boulevard de la Woluwe sur une longueur de 2 km entre le musée du tram et Roodebeek a pris 3 ans !

De toute évidence cependant, des investissements lourds seront néanmoins nécessaires, afin de développer des moyens de transport de haute capacité, fiables et rapides, tram en site propre ou métro. Il est clair que la solution idéale sera une combinaison des deux, à déterminer en fonction d’un ensemble complexe de critères, tant techniques que politiques et budgétaires.

Je n’ai certainement pas la compétence pour décider s’il faut dans l’immédiat un métro pour Uccle, et encore moins pour en déterminer le tracé. Je me limiterai donc à quelques réflexions d’ordre général.

• Le choix du métro ne constitue en rien un soutien du tout à l’automobile. Ce ne serait vrai que si les espaces ainsi libérés en surface étaient aménagés au profit de la circulation automobile. Il n’en est évidemment pas question. L’espace dégagé en surface par des lignes de métro devra être reconverti de manière irréversible en espace vert piétonnier et/ou en voie cyclable. Il n’est pas inutile de rappeler que pendant des décennies, c’est bien la mise en site propre de lignes de tram qui a entraîné la disparition d’espaces piétonniers arborés tout en facilitant le trafic automobile, comme on peut encore le constater aujourd’hui avenue Louise, avenue Churchill, avenue de Tervuren, boulevard Général Jacques, .... Il y a à peine une dizaine d’années, avait germé le projet d’aménager une ligne de tram en site propre avenue F.D. Roosevelt, en détruisant la superbe pelouse centrale, et en se gardant bien d’empiéter sur la circulation automobile.

• Prévisions de trafic. Je reste dubitatif quant aux prévisions de trafic du métro à Bruxelles, telles qu’elles ressortent des études réalisées. Au risque de me répéter, je suis persuadé que dans ce domaine, c’est le plus souvent l’offre qui crée la demande, et non l’inverse, Rappelons qu’en 1987, lorsque la création d’une ligne à grande vitesse entre Paris et Bruxelles avait été décidée, 6 TEE assuraient quotidiennement la liaison dans chaque sens en 2h30 environ. Aujourd’hui, plus de 20 Thalys circulent quotidiennement dans chaque sens en moins de 1h30. Je doute fort qu’une augmentation aussi considérable du trafic avait réellement été anticipée il y a plus de 30 ans.

• Impact du métro sur la circulation automobile. Une étude prédit que le métro Sud ne permettrait que 0,55% de réduction des km parcourus par an à Bruxelles. Outre l’imprécision inhérente à un tel calcul prévisionnel, ce critère n’est guère pertinent. C’est comme si on déterminait l’impact du TGV Paris-Lille sur la circulation automobile, non pas entre ces deux villes, mais sur l’ensemble de toutes les autoroutes, routes nationales et routes départementales de France !

• Confort. Un métro bien conçu offre la possibilité d’améliorer notablement confort et sécurité : escalators, ascenseurs, portes palières sur les quais, accessibilité en chaise roulante, etc. Les distances séparant les stations de métro sont un faux problème : elles dépendent essentiellement d’un arbitrage entre l’objectif de rapidité et le souci de proximité (et accessoirement du coût propre à la station). À titre d’illustration, la distance moyenne entre deux arrêts est de 618 mètres sur la ligne de métro 5 et de 352 mètres sur la ligne de tram 92, ce qui signifie que le métro entraîne en moyenne une augmentation maximale de moins de 150 mètres des distances à parcourir à pied.

• Capacité. Le métro permet une fréquence très élevée, jusqu’à un train toutes les 90 secondes, ce qui est impossible avec un pré-métro.

• Délais de livraison. C’est une question de volonté et de moyens mis en œuvre : comme l’indiquait Le Monde ce 30 avril, la livraison des 200 km du Grand Paris Express (métro circulaire autour du grand Paris), dont la construction vient de débuter, est prévue pour 2030. Mais 15 tunneliers seront simultanément à l’ouvrage, jusqu’à 50 mètres de profondeur …

• Vision à long terme. Il faut se garder d’avoir l’œil braqué sur des objectifs immédiats. Privilégions une vision à long terme !

Georges Copinschi

Une coordination des transports en commun est plus que nécessaire.

22 janvier 2020