Bilan de l’année de la biodiversité

Article paru dans la Lettre aux habitants n° 67, mars 2011.

Uccle commune « Verte » ou le paradoxe d’une ville qui, dans les années 1980, offrait plus en termes de biodiversité qu’un village du sud du Brabant wallon, zone de culture intensive.

En effet, la quantité de pesticides déversés sur les champs offrait un triste spectacle de la campagne : peu d’oiseaux, peu de fleurs, pas de champignons, et des maux de tête pour les agriculteurs d’abord, les riverains ensuite. A l’opposé, Uccle avec ses nombreux espaces verts, riches en biodiversité, offrait de quoi satisfaire la curiosité de passionnés de nature qui avaient choisi de revenir habiter en ville.

En 25 ans, comment la situation uccloise a-t-elle évolué ? La clôture de « l’Année mondiale de la Biodiversité » nous semble l’occasion de dresser un bilan de notre patrimoine naturel qui, hélas, offre un solde bien négatif. Les causes anthropiques, responsables de la perte de biodiversité sont bien connues : l’utilisation de produits chimiques qui polluent l’air et les sols, le réchauffement climatique et tout ce qui y contribue (combustibles fossiles dans le chauffage des logements, l’industrie et les transports) ainsi que la destruction des écosystèmes tant par une gestion inappropriée des espaces « verts », que par la destruction des dernières friches urbaines ou par le grignotage des intérieurs d’îlots par le béton, voire par un urbanisme mal pensé, sans vision globale où la préservation de la nature est exclue, pour ne citer que ceux-là…

Or, si nous voulons vraiment agir, nous n’échapperons pas à la nécessaire remise en question de nos comportements ; il y va de la survie des espèces y compris de la nôtre.

De nombreux particuliers ont déjà intégré ces concepts et ont fait l’effort d’adapter leur mode de vie, de consommation, de déplacement. Entre autres exemples, les quartiers durables tout comme les groupements d’achat solidaire (paniers bio) s’organisent peu à peu, les jardins refuges connaissent un succès grandissant. Tout bon pour la planète ! Merci !

Du côté de nos responsables poli- tiques bruxellois, « l’Année mondiale de la Biodiversité » ne semble pas avoir suscité de grands efforts d’imagination. Depuis quelques années, leur discours en matière d’environnement semble se focaliser principalement sur le réchauffement climatique et les économies d’énergies. C’est déjà pas mal me direz-vous car les primes « énergies » vont dans le bon sens. On peut toutefois regretter que ces débats ne s’inscrivent pas suffisamment dans la globalité, et n’y intègrent pas la biodiversité.

Au terme de cette année mondiale de la biodiversité, le regard que portent les naturalistes sur les actions menées en faveur de la biodiversité à Uccle et au-delà en 2010 est en rapport avec leurs attentes. Ils sont déçus parce qu’ils pensaient qu’il y avait moyen de populariser l’idée de la biodiversité en la faisant descendre auprès du grand public, non seulement en conscience mais aussi et surtout en actes. Ainsi la stratégie adoptée par la Ministre de l’Environnement a été de confier l’organisation de l’année de la biodiversité au monde scientifique, académique, à des biologistes compétents en termes d’analyse, mais absents du terrain, du quotidien du citoyen.

De jolis dépliants, comme 360 gestes pour la biodiversité ont été édités. Mais le citoyen lambda a-t-il été touché ? Si oui, par quel message ? Et comment le mesurer ? Des colloques et séminaires ont été organisés pour les décideurs des administrations locales, attendons de voir leurs retombées…

Quant aux associations actives sur le terrain, les associations locales bruxelloises de défense de la nature, comme SOS Kauwberg-Uccla Natura à Uccle, elles n’ont pas été associées à cette Année de la Biodiversité et c’est bien dommage car leur connaissance du terrain tant sur le plan biologique, qu’historique et culturel, aurait permis de canaliser les énergies et de faire le lien avec le pouvoir politique.

Au niveau politique communal retenons une note positive : le cimetière du Dieweg et celui de Verrewinkel font déjà l’objet d’un plan d’aménagement pour en améliorer les qualités biologiques (nous en parlerons plus loin). Mais l’Agenda 21, qui a mis la protection de la nature à son actif, est toujours en attente des concrétisations pratiques. A quand un plan communal de développement de la nature ?


Espaces verts : statu quo ?

Sur le plan quantitatif.

Malgré une réduction des superficies non négligeable en 25 ans, Uccle reste « verte » en comparaison avec d’autres communes de la première couronne, admettons ! Mais pour combien de temps encore ? Avec les grands chantiers urbanistiques prévus et ceux qui ne manqueront pas de germer, la vigilance s’impose. Un premier grand débat s’ouvre donc : logement versus nature. Nécessité oblige : se loger est un des besoins primordiaux de notre espèce, y compris pour les naturalistes ! Malheureusement, trop souvent lors de la demande de permis de lotir et aussi dans le cadre de décision en matière d’aménagement du territoire, la réflexion sur « quel logement avec quels impacts sur notre environnement » fait largement défaut, voire est inexistante, que ce soit dans une moindre mesure en termes de qualité du logement lui-même (matériaux, isola- tion, récupération des eaux de pluies, production d’énergie douce... autant de choix qui influent sur la biodiversité) qu’au niveau de sa localisation ; un quartier déjà saturé en trafic routier connaîtra la congestion à terme (et n’oublions pas que l’automobile nuit gravement à la biodiversité). Quant à l’intérêt biologique des sites constructibles, il est tout autant ignoré. L’exemple de la plaine du Bourdon et de tous les autres projets aux alentours est révélateur. Au fil du temps, la plaine en elle-même s’était peu à peu transformée en zone de friche semi-naturelle, un couloir migratoire pour les oiseaux, insectes, chauve-souris... entre le Kinsendael et le Keyenbempt. La construction de blocs de logements jusqu’à 5 niveaux sur environ 80 % de sa superficie mettra fin à cette fonction. Dans ce projet comme dans beaucoup d’autres, rien n’est prévu pour compenser ce qui sera détruit et ce ne sera certainement pas grâce à la mince promenade verte et aux petits aménage- ments de verdurisation autour des bâtiments que l’on récupérera ce rôle essentiel. Ce dossier n’a pas été étudié dans le sens du maillage écologique.

Autre projet exemplatif sur le terrain le long de la chaussée d’Alsemberg, entre l’Ecole de Secrétariat et l’école primaire André Didier. La demande pour cette zone aurait dû faire l’objet d’un rapport d’incidences qui, correctement réalisé, aurait attesté de sa haute valeur biologique partielle comme de son rôle de liaison dans le maillage vert. Comme celui-ci était absent, la Commission de concertation a exigé de l’auteur de projet qu’il réponde aux remarques. Il s’est vu contraint de joindre un rapport d’incidences complémentaire. Lorsque nous avons eu ce rapport en main, nous avons été sidérés par la faiblesse de celui- ci : même pas digne d’un naturaliste débutant, avec des erreurs au niveau du relevé des oiseaux. Un mauvais devoir d’un élève qui doit bien écrire quelque chose sur sa copie. Et c’est là que cela devient surréaliste : malgré l’évidente mauvaise facture du rapport, le permis est donné car ce qui importe c’est qu’un rapport soit joint et pas qu’il soit correct au point de vue scientifique.... Et c’est ensuite l’apothéose, le green washing entre en scène : le promoteur promet du vert dans son lotissement pour rassurer et se donner bonne conscience. Peu importe la qualité des espèces plantées, peu importe que le relevé de l’avifaune soit correct ou pas : les espèces inventoriées qui n’existent pas actuellement finiront bien (dixit le promoteur) par s’installer dans le lotissement !

Les exemples ne manquent pas. Du quartier Engeland au Plateau Avijl qui connaîtront sous peu d’énormes chamboulements, les derniers espaces semi-naturels et les intérieurs d’îlots se font grignoter. Nous avons lu dans la tribune de l’opposition du journal communal le Wolvendael de janvier 2011, que des conseillers communaux CDH s’en inquiétaient ; nous aurions préféré que ce soit le collège dans son ensemble qui s’alarme.

Malheureusement, une fois de plus, lors de la délivrance de permis, les autorités n’adoptent pas l’attitude responsable que l’on serait en droit d’attendre face au déclin de la biodiversité. Ainsi, Bruxelles Environnement, ex IBGE, n’est-il pas le garant de la protection de l’environnement au sens large, donc de la nature en particulier ? Et bien non malheureusement. Couramment représentée par un ingénieur dans les commissions de concertation, l’administration semble considérer avant tout l’aspect technique des projets et les spécialistes en biodiversité ne sont pas présents, voire n’ont pas toujours l’occasion de consulter les dossiers. Et même si de temps en temps elle demande des compléments d’information par le biais d’une étude d’incidences, les résultats sont en fin de compte souvent orientés. Ces constats posent question quant à la mission de Bruxelles Environnement. Serait- elle mal définie ? Est-ce un manque de moyens, de compétences ? Une question de priorité
peut-être ? Certainement une adaptation de la législation urbanistique qui devrait intégrer la notion de protection de la nature dans ces procédures et textes de lois ! Aucune contrainte légale n’existe réellement pour protéger la nature dans l’aménagement du territoire.

Certes, les zones vertes diminuent de manière inquiétante, mais des voix s’élèveront pour rappeler que des efforts ont été faits par exemple dans l’aménagement de la Promenade Verte et du Keyenbempt, ce dernier ayant bénéficié d’une dépollution des terres destinées aux potagers. C’est exact mais rappelons que c’est la fragmentation des espaces naturels qui est une des premières causes du déclin de la biodiversité. Maintenir ces espaces protégés en bon état de conservation passe par la réalisation concrète d’un indispensable maillage écologique et par le maintien ou la création des liaisons indispensables.

Qualité correcte à mitigée.

La promenade verte, pour reprendre cet exemple, et le Keyenbempt qu’elle traverse font l’objet d’une gestion chaotique. De façon étonnante, les renouées du Japon ne sont pas éliminées. Bruxelles Environnement sous-traite le fauchage de la zone humide à des sociétés privées qui ne sont pas toujours respectueuses des cahiers de charges qu’elles sont censées respecter. Ainsi le fauchage est parfois trop hâtif, s’effectue lorsque les sociétés d’entretien de jardins ont moins de travail privé et agissent sans trop s’inquiéter de maintenir des zones refuge là, où et quand la gestion le prévoyait. Dans un tout autre domaine, là où des nichoirs auraient dû être placés, faute de temps (?), d’intérêt (?), rien n’a bougé et c’est une association locale qui a proposé de prendre le relais.

Pourtant, restons positifs, les consciences commencent peu à peu à s’éveiller du côté de l’autorité communale, notamment en ce qui concerne l’entretien d’espaces publics. Le cimetière du Dieweg et le cimetière de Verrewinkel ont depuis peu fait l’objet d’un plan de gestion auquel participent des représentants du monde associatif actifs dans le domaine de la protection de la nature. On ne peut que s’en réjouir. Il a ainsi été décidé de limiter, voire de supprimer tout à fait l’utilisation de pesticides au profit d’autres techniques plus respectueuses de la nature. Evidemment, nous sommes conscients que ce n’est pas aisé et du côté du personnel communal, par exemple, tout un travail de prise de conscience reste à faire mais il l’est tout autant vis-à-vis du public qui fréquente régulièrement les lieux et ne comprend pas le « laisser aller » du cimetière de Verrewinkel, si « propre » auparavant ! Des panneaux d’in- formation supplémentaires seraient les bienvenus en l’occurrence. Mais tout cela demandera sans doute encore pas mal de temps.

L’apport de l’associatif.

En cette fin d’année 2010, le bilan de l’année mondiale de la biodiversité, paraît bien maigre. Quelles actions ont été menées pour atteindre le citoyen ? Ce sont probablement les associations naturalistes et, dans une moindre mesure, les médias (cfr le Jardin extraordinaire sur la RTBF ou Nua en radio) qui emportent la palme.

Quelle qu’elle soit, toute association naturaliste souhaite collaborer à l’amélioration de la biodiversité. Nous l’avons vu, cette collaboration s’est déjà concrétisée avec la commune d’Uccle et nous espérons qu’elle s’accentuera. Nous pourrions par exemple imaginer l’organisation d’action de fauche (éradication) des invasives sur et autour des propriétés communales ; les abords de la piscine Longchamp et de la Ferme Rose en sont littéralement couverts. Dans une lutte comme celle-là, l’union fait la force ! Autre exemple, la signature de la convention de gestion du marais du Broek avec Natagora est toujours en attente ; on ne sait trop pour quelles obscures raisons, lorsque l’Echevin Cools avait dans ses compétences les propriétés communales, l’autorité communale était prête à le racheter. Depuis, les dernières élections et le changement d’échevin (Mme Dupuis), l’intérêt apporté au Broek (photos) semble tombé aux oubliettes. Mais cela n’empêche heureusement pas Stéphane Fumière et sa dynamique équipe de « Natagora Bruxelles » de poursuivre leur action qui a pour objectif précisément d’augmenter la biodiversité (et d’y canaliser les promeneurs et leurs chiens....). En cette année mondiale de la biodiversité, la concrétisation d’un tel projet et la mise en valeur d’un petit bout de « patrimoine écologique » ucclois auraient été les bienvenus.

Que dire enfin du prix Paul Duvignaud 2010, du nom du célèbre écologiste bruxellois qui fut l’initiateur du concept de « l’écosystème urbain » et qui fut l’un des premiers à militer pour une meilleure gestion écologique de la ville.

Plusieurs associations uccloises ont présenté des projets au prix Paul Duvignaud, créé pour sensi- biliser le citoyen à la qualité de l’environnement par le biais de projets proposés par des habitants. SOS Kauwberg a proposé une campagne d’information sur les plantes invasives, leur danger, les mesures d’intervention etc. Notre association n’a toutefois pas attendu les résultats du concours pour éditer des dépliants et les diffuser dès le marché de St-Job. Ces dépliants ont d’ailleurs été adaptés pour « Bruxelles Nature » et diffusés au niveau régional. Parallèlement, nous ne savions pas que nos amis du comité Engeland participaient aussi au concours avec un projet de gestion des espaces verts dans le quartier du Homborch – projet primé par le prix Paul Duvigneaud. La remise du prix a eu lieu en octobre dernier au centre sportif A. Deridder. Seuls des représentants de la Cocof, des conseillers communaux et l’Echevin de l’environnement M. Cools étaient présents. On peut donc s’interroger sur le peu d’écho et le peu d’importance accordée par les politiques régionaux et les médias à la démarche citoyenne que représente ce prix. L’année mondiale de la biodiversité n’aurait-elle pas dû avoir entre autres objectifs de valoriser toutes les initiatives, d’aller au delà des intentions pour s’atteler enfin à leur concrétisation en posant des actes forts ?

C’est dire enfin si dans l’esprit de la plupart des décideurs, la biodiversité ne semble pas faire partie intégrante de l’environnement. Il est pourtant plus qu’urgent, face à la disparition d’un nombre toujours plus important d’espèces, d’enfin se souvenir que la biodiversité c’est la vie dont dépend aussi la nôtre.

ANNICK BERNARD
(SOS Kauwberg-Uccla Natura).

mars 2011