Plaidoyer pour l’ex INSTITUT PASTEUR

Article paru dans La Lettre aux Habitants n°83, mars 2015.

photo : acqu juin 2013

UN DOUBLE ENJEU : CONSERVER LA VALEUR ÉCOLOGIQUE DU PLATEAU ENGELAND ;
PRÉSERVER UNE ZONE D’INTÉRÊT COLLECTIF.

L’objet de la présente note, réalisée dans la foulée
de la Lettre aux habitants n°77 (dossier anniversaire),
vise à faire prendre conscience de l’enjeu
écologique et urbain que représentent les 24 ha
de terrain appartenant à l’Etat le long de la rue
Engeland à Uccle et connus sous la dénomination
« Institut Pasteur ».

PRÉSENTATION DU SITE

Le site de l’ancien Institut Pasteur, forme une
grande parcelle située en plein milieu du plateau
Engeland. Ce plateau se présente comme une colline
limoneuse et sableuse arborant un paysage
écologique complexe composé de bois, de prairies,
de haies, de rideaux d’arbres et des bosquets
d’une grande valeur biologique.

Le site est scindé
en deux par la ravine étroite et profonde d’un ruisseau :
l’Eykelenbosbeek ou Gaasbeek. Le domaine
de l’ex Institut Pasteur, correspond approximativement
à ce qui subsiste du paysage agricole du
plateau Engeland. Seule une portion limitée du
domaine Pasteur est aujourd’hui bâtie : un Haras,
vestige de l’ancienne propriété Brugmann, ainsi
que deux grands immeubles-barres bordant la
rue Engeland et encore temporairement occupés
par l’Institut de Santé Publique (lSP).

photo : ACQU juin 2013

STATUT JURIDIQUE : UNE ZONE AFFECTÉE À
L’ÉQUIPEMENT PUBLIC ET D’INTÉRÊT COLLECTIF.

La totalité du plateau Engeland (les parcelles
numérotées 3 sur la carte) méritait largement, vu
sa haute valeur biologique, d’être classée au PRAS
en zone verte. Malgré cela, et sous l’influence des
desideratas et des intérêts particuliers en jeu à
l’époque, plusieurs grandes portions de terrain
ne bénéficièrent pas d’une pareille mesure
de protection (3b, 3c, 3e et 3d). Ce fut notamment
le cas de la quasi-totalité (+/- les 9/10) du terrain
occupé par l’Institut Pasteur (3c) qui obtint le
statut de « zone d’équipement collectif et d’intérêt
public ». L’Etat, propriétaire du site, voyait probablement
dans cette vaste réserve foncière un vase
d’expansion idéal pour le développement futur de
ses missions de service public et d’intérêt collectif
(pôle scientifique).

LA RÉALITÉ DU TERRAIN : UN REMARQUABLE
RÉSEAU ÉCOLOGIQUE

Pourtant, en marge de cette affectation juridique,
le domaine Pasteur fait partie intégrante, comme
le reste du plateau Engeland, d’un remarquable
réseau écologique qui s’étend de Forest (Bempt)
à Rhode St Genèse. L’intérêt écologique de ce
réseau lui a d’ailleurs valu d’être classé par
l’autorité régionale comme Zone Spéciale de
Conservation (ZSC – site 2 Natura 2000 –) de la
Région Bruxelloise au même titre que l’ensemble
composé par la Forêt de Soignes et la vallée de la
Woluwe (site 1) et la zone boisée et humide de la
vallée du Molenbeek (site 3). Le plateau Engeland
(dont fait partie intégrante le domaine Pasteur)
assure au sein du site 2, la continuité écologique
indispensable entre le Kinsendael-Kriekenput
(n°2) et le bois de Verrewinkel (n°6) d’une part, et
le Kauwberg d’autre part (n°5).

Déjà en 2006, dans son Rapport sur l’Etat de l’Environnement
Bruxellois, l’IBGE lui-même regrettait
que la totalité du site n’ait pas pu être classée.

Avec le PRAS de 2001 « il faut remarquer l’apparition
des « zones vertes de haute valeur biologique »
(dits « sites B ») destinées à la conservation et à
la régénération du milieu naturel de haute valeur
biologique. Certains sites très importants pour la
conservation de la nature n’ont pas bénéficié de
cette protection essentielle . C’est en particulier
le cas pour (...) une partie du plateau Engeland à
Uccle. »

Cette situation est vraiment regrettable quand
on sait que la dégradation et la fragmentation
des habitats naturels sont l’une des principales
raisons de la régression et de la disparition des
espèces. Comme le souligne l’IBGE et une équipe
de recherche de la VUB, malgré la protection des
sites et des espèces, cette fragmentation pourrait
avoir des conséquences génétiques et démographiques
négatives sur la survie à long terme des
populations. De ce fait, le maintien ou la restauration
de la connectivité entre des « mailles » d’habitat
en favorisant la migration des espèces (via le pollen
ou les graines) peut s’avérer indispensable pour
assurer la préservation de la biodiversité en milieu
urbain (L. Triest 2003).

ENJEU ACTUEL :
LA MODIFICATION DU
P.R.A.S., LE DÉMÉNAGEMENT
DE L’ISP ET LES
RISQUES DE SPÉCULATION

Les possibilités foncières,
offertes par le statut juridique
du domaine Pasteur, contreviennent
donc clairement à
l’intérêt écologique du site.
Ceci dit, qu’on y construise
des infrastructures d’intérêt
collectif ou qu’on décide
d’intégrer le site au reste de
la ZSC Natura 2000, dans ces
deux cas le choix retenu est
en mesure de répondre à des
réels besoins sociétaux.
Mais ce dilemme entre écologie
et équipement collectif lui-même risque sérieusement d’être balayé d’un
revers de main. Le PRAS Démographique, suite
à la modification de la prescription 8.1. et 8.2,
permet effectivement, depuis décembre 2013,
la construction de logements en zone d’intérêt
public et d’équipement collectif.

Vingt hectares de nouveaux terrains à bâtir à
Uccle, du pain béni pour les grandes sociétés de
promotion immobilière ! D’autant plus que l’Etat
prévoit de déménager prochainement l’Institut
de Santé Publique (ISP) vers Erasme. Le terrain
serait donc vacant… et ouvert à tous les fantasmes
spéculatifs…

CONCRÈTEMENT :
NOS ATTENTES ET PROPOSITIONS

1. Préserver le domaine Pasteur de la promotion
privée.

Il serait hautement regrettable de voir apparaître
un nouveau lotissement résidentiel de type périurbain
à Uccle ! Outre que l’étalement urbain est
particulièrement néfaste pour l’environnement et
qu’il coûte très cher à la collectivité, il est important
de préserver les dernières grandes propriétés
publiques (lire à ce propos l’article précédent « La
déréglementation du PRAS »).

2. Partager le domaine Pasteur en deux entités
équilibrées en vue d’objectifs d’intérêts
public et écologique.

2.1 Réserver la moitié avant du site, le long de la
rue Engeland, à l’équipement collectif et d’intérêt
public.

Il est possible d’implanter du logement sur le site
(comme le permet le PRAS Démographique) mais
en fonction de critères d’intérêt public stricts (cela
reste la fonction première de la zone), c’est-à-dire
tournés vers les réels besoins de la population
bruxelloise. Pour rappel, ce dont on a besoin,
c’est avant tout des places dans les écoles et dans
les crèches, ainsi que des logements adaptés et
abordables pour les familles nombreuses à revenu
modeste, pour les familles monoparentales et
pour les personnes âgées (logements intergénérationnels).

Ceci dit, en marge d’éventuelles nouvelles
constructions, il faut penser avant tout à la réaffectation
et à la rénovation des vastes bâtiments de
l’ex Institut Pasteur
(aujourd’hui à moitié vides).
Le riche programme architectural du complexe
pourrait être adapté à de nombreuses fonctions.
Outre les deux immeubles barres qui pourraient
être réaffectées au logement, le socle du complexe
dispose d’une série de salles et d’espaces à
vocation collective très valorisant pour l’ensemble.

Enfin, vu la situation actuelle, déplorable en matière
d’accessibilité et d’offre en transport public
(ce n’est pas pour rien que l’Etat s’est finalement
résolu de déménager l’ISP vers Erasme, près du
métro), tout projet d’implantation doit impérativement
être accompagné d’un plan de mobilité
efficace
et crédible auquel nécessairement
doivent s’impliquer la STIB et les autres acteurs
concernés. On ne pourra pas faire l’impasse sur
cet aspect du problème ; il faudra investir de
larges moyens si on veut réellement désenclaver
ce « bout de campagne » situé aux confins de la
Région.

Le schéma ci-dessus détaille nos
suggestions. En liseré rouge
le domaine de l’Etat ; en liseré
jaune les limites de l’espace géré
actuellement par Bruxelles-
Environnement ; en liseré bleu
la partie que l’ACQU suggère
de retenir pour l’implantation
d’infrastructures d’intérêt public
et en liseré vert la partie arrière
du site que l’ACQU demande qu’on
ajoute à la zone de protection
Natura 2000
.

2.2. Intégrer l’arrière du site à la Zone Spéciale
de Conservation (ZSC) Natura 2000.

La ZSC Natura 2000 et ZVHVB au PRAS, qui borde
la vallée du Gaasbeek (3a), est très étroite et uniquement
faite d’un bois. Ce corridor de quelques
mètres seulement risque de pâtir de la situation
conflictuelle engendrée par l’urbanisation potentielle
de ses abords. Elle serait dès lors fortement
affectée dans son intégrité biologique-écologique
et dans une de ses fonctions essentielles qui
est d’assurer la continuité du réseau écologique
régional. En d’autres mots, si on ne fait rien, ce
corridor écologique risque de ne devenir qu’un
simple rideau d’arbres servant avant tout d’encadrement
esthétique à la promenade verte.

Il semble donc indispensable de l’élargir par
l’adjonction des prairies et bocages du domaine
Pasteur, zones écotones et milieux ouverts d’une
grande richesse biologique. L’élargissement de la
zone de protection est primordial si on veut assurer
une bonne conservation des ZSC Natura 2000
du sud d’Uccle et ainsi satisfaire à l’exigence de la
directive européenne Habitat.

CONCLUSION : APPLIQUER L’ORDONNANCE DU
1ER MARS 2012 RELATIVE À LA CONSERVATION
DE LA NATURE : UNE OCCASION À NE PAS MANQUER.

Dans son Plan Nature (septembre 2013, p.16),
l’IBGE regrette à juste titre que les pouvoirs
publics ne possèdent pas toujours la maîtrise foncière
des terrains sur lesquels pourrait s’appuyer
la consolidation du maillage vert. L’absence de
maîtrise foncière constitue l’un des freins majeurs
à la mise en oeuvre de la politique de maillage vert
telle que décrite dans le Plan Régional de Développement
de 2002.

L’IBGE se réjouit toutefois qu’une « avancée
importante vers une meilleure maîtrise foncière
en faveur de la conservation de la nature ait été
réalisée avec l’adoption de l’ordonnance du 1er
mars 2012 relative à la conservation de la nature ».
Celle ci habilite effectivement le Gouvernement à
procéder à des expropriations (art. 16) et à effectuer
des transactions immobilières (art. 17) pour
des raisons de conservation de la nature ».
Ceci dit, freiner les ambitions d’un propriétaire
privé par rapport à son patrimoine foncier
demeure compliqué et l’expropriation reste une
procédure relativement lourde. Il en va cependant
tout autrement d’un terrain appartenant au
domaine public, comme c’est le cas des terrains
de l’ex Institut Pasteur puisqu’ils appartiennent à
l’Etat Fédéral !

En conclusion, la Région de Bruxelles Capitale
doit absolument profiter de cette rare occasion
pour mettre à profit l’article 17 de l’ordonnance
du 1er mars 2012 relative à la conservation de la
nature, c’est à dire négocier sans tarder une transaction
avec l’Etat Fédéral en vue de protéger les
terrains encore vierges de l’ex-Institut Pasteur.


Ci-dessus : Vue d’ensemble de l’ancien Haras Brugmann. AU 19e siècle le
terrain était propriété du célèbre banquier et mécène le Baron
Georges Brugmann(1829-1900). Il fit construire un premier haras
pour son neveu Frédéric passionné de chevaux et d’équitation.
Quelques années plus tard Frédéric Brugmann lui même, fit
agrandir les installations pour atteindre le nombre de 48 boxes.
Le complexe, plus que centenaire, nous est parvenu aujourd’hui
dans son état d’origine. Il s’agit d’un bel ensemble de style
traditionnel à l’allure très pittoresque. Quatre ailes sont disposées
symétriquement autour d’un pavillon central. l’ensemble adopte
un plan en demi-lune, s’inscrivant avec beaucoup d’élégance
autour d’un vaste manège extérieur de forme circulaire et
encerclée de tilleuls. Photo : Louis Vannieuwenborgh 2010.

Ci dessus : vue de l’auditorium du complexe construit entre
1967 et 1972 d’après les plans de l’architecte André
Lévêque (1908-1992) pour l’Institut Pasteur de Brabant.
Malgré l’aspect abrupt des deux grands immeublesbarres
qui marquent l’ensemble du site, l’architecte a
tenté néanmoins d’intégrer le complexe au paysage.
Plusieurs parties de l’ensemble, tel que cet auditorium
sur pilotis, révèlent par ailleurs une haute recherche
architecturale. En arrière plan on devine le Haras
Brugmann qui fait face au complexe de l’Institut
Pasteur. Photo : ACQU, juin 2013.

1er mars 2015